Mottainai, le concept japonais de respect et durabilité
Si vous me suivez sur Instagram, vous saurez désormais qu’un voyage au Japon se prépare et approche. Depuis des semaines, voire des mois, on lit des ouvrages sur le Japon, on met de coté les adresses que d’autres ont découvert avant moi, on se nourrit des images qui s’affichent sur nos écrans et, pour une fois cette obsession de l’algorithme de nous suivre à la traque, a quelques avantages puisqu’elle nous permet de voir et découvrir, avant même d’avoir effleuré le sol de l’Empire du Soleil Levant.
Au fil de nos lectures, un terme a attiré mon attention. Son histoire et son application au Japon lui donne toute sa place parmi nos articles.
le “mottainai” entre passé et présent
Le terme japonais "mottainai" (もったいない) incarne une philosophie profondément ancrée dans la culture japonaise. Littéralement traduit par "quel gâchis," il exprime un sentiment de regret face au gaspillage de ressources. C’est une véritable philosophie qui prône le respect de toutes choses, de la nourriture aux objets du quotidien, en passant par l'énergie et le temps. Aujourd'hui, ce concept trouve une résonance particulière dans le contexte global de la durabilité et du respect de l'environnement.
Le mot "mottainai" a des racines anciennes dans le bouddhisme japonais, où il évoque l'idée de regretter la perte de valeur ou d'essence intrinsèque de quelque chose. D’usage depuis l’époque Edo (1603-1868), ce terme a été utilisé pour inciter à la modération et au respect des ressources naturelles et matérielles. Dans le Japon d'autrefois, où les ressources étaient souvent limitées, chaque objet et chaque ressource étaient précieux.
Aujourd'hui, ce concept a évolué pour devenir un principe fondamental de la vie quotidienne au Japon. Il s'applique non seulement à l'utilisation des objets et des ressources, mais aussi à la gestion du temps et à la valorisation des relations humaines. C’est enseigné dès le plus jeune âge et imprègne de nombreux aspects de la société japonaise.
plus qu’un concept, un style de vie
De nombreux designers japonais intègrent le “mottainai” dans leurs créations. Les emballages de produits sont souvent conçus pour être réutilisables ou recyclables, la création de meubles modulaires et multi-fonctionnels permet de maximiser l'utilisation de l'espace et des matériaux.
En architecture, il se traduit par la préservation des bâtiments anciens et l'utilisation de matériaux locaux et recyclés. Les architectes japonais intègrent souvent des éléments traditionnels dans des structures modernes pour minimiser le gaspillage. Kuma Kengo, un architecte de renommée internationale, a donné naissance à des bâtiments aux matériaux naturels et conscients de l’environnement. La rénovation de maisons traditionnelles, les “machiya”, les maisons en bois typiques des centres-villes japonais, permet de conserver les matériaux originaux tout en modernisant les intérieurs pour répondre aux besoins actuels. Dans l'architecture japonaise traditionnelle, les structures des “minka”, les maisons en bois autrefois réservées aux paysans, artisans et marchands, sont conçues pour être facilement démontables et les matériaux réutilisables, et l'utilisation de l'espace est optimisée pour réduire le gaspillage.
Dans la vie quotidienne, le “mottainai” peut être observé dans des pratiques simples et courantes. On répare les objets cassés au lieu de les jeter grâce à la technique du "kintsugi", l'art de réparer la céramique avec de la laque mélangée à de la poudre d'or. On utilise des carrés de tissus pour emballer des cadeaux ou transporter des objets, réduisant ainsi l'utilisation de plastique grâce au “furoshiki”. Dans la cuisine japonaise, chaque partie d'un ingrédient est utilisée.
Une démarche globale
Le concept de “mottainai” résonne fortement avec les principes de durabilité en Occident. La prise de conscience croissante de l'impact environnemental du gaspillage a conduit à une adoption plus large de pratiques durables, telles que la réduction, la réutilisation et le recyclage. Le minimalisme, la consommation consciente, et l'économie circulaire trouvent un écho direct dans cette pratique orientale.
Le “mottainai” n’est donc plus qu'un simple mot ; c'est une philosophie de vie qui encourage au respect des ressources et une attitude de gratitude envers ce que nous possédons. En intégrant cette mentalité dans nos vies, nous pouvons non seulement réduire notre impact environnemental, mais aussi redécouvrir la valeur des objets qui nous entourent.
Quelques exemples pratiques de mise en application ?
acheter moins, acheter mieux (de meilleure qualité) ou acheter d’occasion (pour donner une deuxième vie à des objets déjà existants sur le marché)
conserver votre mobilier et vos objets le plus longtemps possible (ce qui implique de ne pas suivre céder à toutes les tendances, pour la mode ou pour la décoration)
réparer les objets et les habits abimés pour qu’ils puissent continuer à vous être utiles
On parle souvent de gaspillage alimentaire, mais le gâchis concerne toutes catégories d’objet et c’est à nous de pouvoir y mettre fin ou d’en réduire les conséquences.
mise à jours après notre voyage au Japon (été 2024)
J’ai réfléchi à cette mise à jour de l’article dès notre arrivée au Japon car le contraste avec cette vision idyllique d’un pays fidèle au “mottainai” est flagrant. Dès le premier soir, une certaine réalité nous a rattrapé. Des supérettes aux rayons surgelés sans portes (avec une température glaciale dans tout le magasin), des packagings individuels pour tout (des baguettes proposées lors de l’achat des repas à emporter aux lingettes nettoyantes, qui remplacent nos simples serviettes en papier), des fruits et légumes dans des emballages en plastique … comment faire cohabiter le concept anti gaspillage du “Mottainai” avec cette tendance anti-écologique omniprésente ?
Le Japon est un pays aux multiples contradictions. Les traditions ancestrales cohabitent quotidiennement avec l’innovation et on a presque l’impression d’une bipolarité constante entre ces deux mondes en opposition. Dans la rue, on croise avec la même facilité, des couples en kimono et des jeunes hyper branchés. . On n’a rien de tout celà en Europe. Pendant 200 ans le Japon s’est mis en retrait du monde (le sakoku, 鎖国, littéralement « fermeture du pays »), aucun japonais ne pouvait quitter le pays et aucun étranger rentrer sur le territoire, sous peine de mort. Cet isolement a permis au pays de poursuivre son mode de vie unique et perfectionner ses techniques ancestrales, mais de figer aussi son passé glorieux. A son ouverture, à la moitié du 19ème siècle, le choc des cultures était inéluctable et aujourd’hui on assiste à une double réalité qui avance parallèlement, presque main dans la main : la tradition perpétuée et l’innovation à son paroxysme.
Mais du coup, est-ce que le “mottainai” est un concept creux, qui n’a pas /plus d’application au pays du Soleil Levant ? Quand on voyage au Japon, on a l’impression de traverser deux mondes à l’opposé, l’un plus traditionnel dans lequel le “mottainai” est vraisemblablement un élément essentiel de la vie quotidienne et un autre, plus moderne, plus occidentale (malheureusement) dans lequel c’est la propreté et le confort de chacun qui prime, au détriment d’un monde avec moins de déchets et plus attentif au réchauffement climatique.
💭 Vous avez déjà été au Japon ? Je suis curieuse d’avoir votre avis/retour sur cette analyse pour partager vos impressions, vos expériences et votre ressenti.